SAÏD MEKBEL

SAÏD MEKBEL

Poètes

Saïd Mekbel
Par Mustapha Boutadjine
Paris 2013 - Graphisme-collage, 65 x 54 cm

C’était Mesmar Dj’ha

Par Hassane Zerrouky Journaliste à L’Humanité

Journaliste, billettiste et directeur du Matin (Algérie), il a été assassiné le 3 décembre 1994.
« Ce voleur qui, dans la nuit, rase les murs pour rentrer chez lui, c’est lui. Ce père qui recommande à ses enfants de ne pas dire dehors le méchant métier qu’il fait, c’est lui.
Ce mauvais citoyen qui traîne au palais de justice, attendant de passer devant les juges, c’est lui. Cet individu, pris dans une rafle de quartier et qu’un coup de crosse propulse au fond du camion, c’est lui. C’est lui qui, le matin, quitte sa maison sans être sûr d’arriver à son travail. Et lui qui quitte, le soir, son travail sans être certain d’arriver à sa maison.
Ce vagabond qui ne sait plus chez qui passer la nuit, c’est lui. C’est lui qu’on menace dans les secrets d’un cabinet officiel, le témoin qui doit ravaler ce qu’il sait, ce citoyen nu et désemparé… Cet homme qui fait le vœu de ne pas mourir égorgé, c’est lui. Ce cadavre sur lequel on recoud une tête décapitée, c’est lui. C’est lui qui ne sait rien faire de ses mains, rien d’autre que ses petits écrits, lui qui espère contre tout, parce que, n’est-ce pas, les roses poussent bien sur les tas de fumier. Lui qui est tous ceux-là et qui est, seulement, journaliste. »
Ce billet prémonitoire de Saïd Mekbel, directeur et billettiste du journal Le Matin, est paru le jour de son assassinat, le 3 décembre 1994. Saïd Mekbel était le 33e journaliste assassiné depuis qu’un certain Mourad Si Ahmed, dit Djamel Al Afghani, alors « émir » du GIA (Groupe islamique armé), avait décrété, en 1993, que « les journalistes qui combattent l’islam par la plume périront par la lame » (1).
Né le 25 mars 1940 à Béjaïa (Kabylie), Saïd Mekbel, ingénieur en mécanique des fluides à la
Sonelgaz (entreprise publique de distribution de gaz), était billettiste à Alger républicain, alors dirigé par Henri Alleg, avant son interdiction après le coup d’État de juin 1965. Mekbel signait ses billets sous le nom d’ « El Ghoul » (l’ogre), billets dans lesquels il pourfendait déjà les puissants de l’époque.
Membre de l’ORP (Organisation de la résistance populaire), créée au lendemain du coup d’État du 19 juin 1965, puis du Parti de l’avant-garde socialiste (PAGS, communiste), Saïd Mekbel connaîtra, comme beaucoup de militants communistes et progressistes, la répression en 1967.
À la réapparition d’Alger républicain, en 1989, il reprend sa plume sous la signature d’El Ghoul, et cela avant de rejoindre l’équipe du Matin, journal créé en 1991 par une partie du collectif d’Alger républicain.
De 1991 à sa mort, son billet occupait un coin du journal, avec sa photo, en haut de la page 24. C’était « Mesmar Dj’ha », « le clou » de Djeha, personnage des contes populaires maghrébins et turcs (« Goha » en Turquie), faux naïf, rusé, se sortant des situations les plus complexes, avec pour protagonistes les princes et les riches. Dans son billet, il épinglait les gens du pouvoir et cette classe politique complaisante à l’égard de l’islamisme, et ce, à travers des personnages hauts en couleur. Il y avait Boualem, le père, son fils, Babez l’étudiant qui savait tout, sa fille Yasmine, qui ne comprenait rien à la politique mais qui avait un sens aigu de la réalité.
Avant sa mort, Saïd Mekbel écrivait que des amis avaient cru bien faire en l’emmenant dîner chez un responsable politique. « Accolades à vous écraser la poitrine. Embrassades bruyantes et humides. Après cette chaleureuse démonstration, le grand homme a parlé, savez-vous ce qu’il m’a dit (...) Ce grand meneur d’hommes m’a dit douze mots : Tenez bon mon ami, nous comptons sur vous pour nous remonter le moral ! »

(1) 126 journalistes, dont douze femmes, ont été assassinés entre 1993 et 1998 en Algérie.
Cinq sont portés disparus.