LOUIS ARAGON

Louis Arago

Par Mustapha Boutadjine - Paris 2004 - Graphisme-collage, 100 x 81 cm

Dans le panthéon secret

Par François Eychart Écrivain et journaliste aux Lettres françaises

Aragon fait partie des deux ou trois écrivains français les plus insultés. Cela blesse ceux qui veulent non sans naïveté qu’il soit reconnu comme un des plus remarquables écrivains de son temps, mais, finalement, ces perpétuelles attaques ne les surprennent pas, lui-même savait qu’il en serait ainsi pendant longtemps. Ceux qui ont tant besoin de le dénigrer finiront par perdre la partie, car que peut-on contre Hugo, contre Rimbaud ? Un jour viendra où il sera enfin possible de porter un regard serein sur Aragon. Parmi les images de lui qui s’imposeront il y aura celle d’un jeune homme conquérant et inquiet, d’un découvreur de terres nouvelles qu’il sentait toutes proches. On en a quelque idée dans le portrait qu’en a donné Mustapha Boutadjine.
En attendant ce moment, le procès d’Aragon est régulièrement relancé par ceux qui croient durablement régenter les affaires littéraires. Tout est pourtant transparent dans leurs mises en scène. Ils feignent de l’absoudre de sa violence surréaliste pour mieux se donner le rôle de juges impartiaux et magnanimes, mais dès qu’il est question du Parti communiste le ton change. C’est la limite qu’il ne fallait pas franchir, celle qui range le fautif parmi les écrivains irrémédiablement perdus, d’autant que malgré les sollicitations il n’a jamais renié cette adhésion.
Il est insupportable aux maîtres du monde qu’un écrivain de cette envergure leur ait échappé et cela est réjouissant.
En réalité, il ne leur échappe pas seulement par son engagement politique mais surtout parce que son œuvre contribue à détruire leur puissance. Il a su passer de l’horizon d’un seul à l’horizon de tous, il a su parler au peuple. Il suffit que sa poésie soit chantée pour qu’elle s’impose par sa vérité et touche les femmes et les hommes au plus profond d’eux-mêmes. Aragon sait comme personne dire le malheur des gens et ce qui, au sein de ce malheur, viendra y mettre fin. Son œuvre est un don au plus grand nombre, à cette foule immense toujours maltraitée, et à celle qui va venir. L’avenir de tous était son souci majeur.
Il a sa place aux côtés de Maïakovski, de Hikmet, de Neruda, dans le panthéon secret de ceux qui n’acceptent pas que le malheur soit à jamais l’horizon des hommes.