EL ANKA « EL CARDINAL »

El Anka « El Cardinal »

Par Mustapha Boutadjine
Paris 1994 - Graphisme-collage, 40 x 30 cm

Extraits d’une contribution de Bachir Hadj Ali sur El Anka, dit « le Cardinal »

Par Bachir Hadj Ali Poète et musicologue Ex-secrétaire général du Parti communiste algérien Le 7 février 1964

C’est principalement avec El Anka (…) que s’opéra réellement la mutation (dans le sillage de son maître Nador) : il adopta un répertoire intermédiaire, au rythme vif, se situant toujours dans la mouvance des modes andalous, plus précisément dans la tradition des « houaza » et des « aroubi ». C’est à partir de là que s’impose progressivement le genre dit « chaâbi ». La jeunesse algéroise issue des familles récemment installées dans la cité se reconnaît dans cette musique, dans son rythme. Désormais, préludes, chants et danses algérois sont adoptés par les néo-citadins. Ce public s’élargit au fil des ans. El Anka a des émules : Hadj M’rizek, Khelifa Belkassem, Bouhraoua, El Ankis, Guerrouabi, Hssissen, Mekraza, Chaou, etc., et surtout le regretté Moh Seghir Laâma, maître incontesté de la guitare et à la mémoire musicale prodigieuse. (…)
El Anka avait pressenti le rôle dynamique de ce nouveau genre musical qui fera école et dont il sera le chef de file. Son auditoire est composé de commerçants, d’employés, d’ouvriers. Le répertoire d’El Anka, son jeu souverain, reflètent la psychologie du peuple, de la jeunesse en particulier, qui retrouve dans son interprétation instrumentale et vocale le sens qu’elle donne plus ou moins clairement à l’esthétique, force de vie et moyen d’approche et d’appréciation de cet art. (…)

Le style ankiste
El Anka était ouvert aux musiques du monde par la radio et les orchestres étrangers de passage à Alger. Il lui arrivait d’assister à des concerts de jazz. Il se trouvait là, sur les deux plans du rythme et du jeu, dans un milieu qui lui était proche : l’Afrique où ont poussé les graines de ce genre nord-américain. Sans pénétrer les secrets du jazz, il décelait cette manière libre de mettre l’accent sur le temps qu’il ne fallait pas à partir de l’inspiration du moment ; il ressentait le rythme du jazz classique, son élasticité, sa légèreté, sa précision et cette nonchalance inimitable. Il établissait un lien entre cette musique et le rythme du « t’bal s’hor » algérois, procession en l’honneur de Bilal, esclave libéré par le Prophète et premier muezzin de l’Islam. Les auditeurs fidèles d’El Anka savaient bien que le maître n’interprétait jamais la même musique de la même manière. Ils appréciaient d’autant plus son jeu. Une entente tacite et secrète naissait entre l’auditoire et l’orchestre.

(…) Il était un homme en colère sous l’occupation coloniale. Après l’indépendance, il se heurta à une certaine bureaucratie inculte. Il fut blessé dans sa fierté et dans sa sensibilité d’artiste. L’un de ses enregistrements, El Meqnassia, exprime une blessure interne dans un climat musical très sombre. Son dernier disque sur des paroles de Toumi (Soub-han Allah ya eltif) peut-être considéré comme son testament, cri d’amour pour Bir Djebbah et Bab Ejdid, pour sa Casbah natale, pour la capitale enfin libérée en 1962, en même temps que tentative d’autobiographie. Avec El Anka disparaît un artiste d’envergure nationale. Grâce à lui, la musique « chaâbi » vit dans le classique et le classique se reflète dans le « chaâbi ».