HASSIBA BEN BOUALI

Hassiba Ben Bouali

Par Mustapha Boutadjine
Paris 2012 - Graphisme-collage, 130 x 95 cm

L’adolescente aux yeux d’or

Par Mohamed Benchicou Journaliste et directeur du Matin

Tu aurais eu aujourd’hui l’âge de ma mère, moi qui suis orphelin d’espoir. Tu aurais eu l’âge de ma mère mais, Hassiba, tu as choisi, sur la foi d’un psaume et du poème, en écho à l’étrange chant de nos montagnes et d’un cantique tremblant, tu as choisi d’écourter ton soleil et de rester pour toujours, dans nos mémoires fardées, l’éternelle adolescente aux yeux d’or.

Cinq rue des Abderames.
C’est l’heure de la lune et du muletier,
Ta tête blonde contre deux chars
Tes vingt ans et la haine de Bigeard :
Néfissa arrête la fontaine,
La poseuse de bombe va mourir...

Parfois, l’hiver, les vieux s’interrogent. Et parlent aux cierges qui ne répondent jamais : Pourquoi a-t-elle choisi, fille d’un rêve populaire, d’être à jamais la nymphe d’une fable inachevée ? Ils t’ont promis de te rendre ton soleil et d’inventer une vie de quatre printemps. Mais le soleil ne se lève plus sans ton ombre et les hirondelles ne passent plus par notre porte.

Cinq rue des Abderames...
Notre errance vient d’une tombe abandonnée :
Il nous a manqué un jour d’humilité
Pour arroser le laurier
Et un instant de mémoire
Pour réparer la lampe du muletier.

J’ai marché hier dans ta nouvelle rue. Pour marchander ma part d’éternité mais je n’ai vu qu’une foule vêtue de tes serments et qui implorait le néant de la sauver de l’infini.
Hassiba, dans quelle éternité as-tu existé ? Ne pourrais-tu un jour allumer un réverbère sur nos doutes, qu’on donne enfin un âge à nos fiertés, un visage à nos illusions et un nom à nos mères ?

Cinq rue des Abderames...
Derrière cette porte, fils
À l’odeur d’un églantier,
Tu chercheras l’offrande de Hassiba
Entre les seins désespérés de la Casbah

Et si je rentre un jour, sur deux jambes retrouvées, si je regagne le monde où nous avons tant rêvé, de ma prison j’apporterai quelques nuits blanches, mon pain rassis, mes puces et mes tristes
dimanches, mes jours sans caresses, le goût des froides lentilles, le parfum des fleurs que je n’ai pas senties, et je t’offrirai, fils, le tout un froid matin, pour que tu vives une heure du malheur ancien, et tu seras riche, mon fils, du rêve des ancêtres, de la couleur d’un monde qu’ils n’ont pas vu naître...

Cinq rue des Abderames...
Il n’y a plus d’heure dans nos pendules
Après l’heure ultime :
La dernière sommation,
Le regard solitaire de Ali,
L’ultime caresse à P’tit Omar
Et le cri déchirant de Bab Edzira...

Sur les sourcils ardents des femmes d’Alger, tu déposeras l’héritage et l’épée. C’est pour les lèvres sacrées des amantes dévoilées que tombent les hommes, que tombe la nuit étoilée et que Dieu
a dessiné ces coupes célestes où les héros versent les jours qu’il leur reste.
C’est ainsi, fils, qu’est née l’Éternité.