GISÈLE HALIMI

Gisèle Halimi

Par Mustapha Boutadjine
Paris 2012 - Graphisme-collage, 130 x 95 cm

La robe irrespectueuse

Par Anna Musso Journaliste à L’Humanité

« Je ne sers plus à rien, je suis à jeter... » Quand Gisèle Halimi reçoit ce cri de douleur de Djamila Boupacha, son sang ne fait qu’un tour. À vingt-et-un ans, cette militante du FLN est torturée et violée par les paras français jour et nuit depuis un mois. Gisèle, avocate de trente-deux ans au Barreau de Paris, prend l’avion direction Alger. « Elle avait encore les seins brûlés, pleins de trous de cigarettes, des côtes cassées... » Gisèle rentre à l’hôtel pour préparer son procès du lendemain. Mais, le soir même, la police vient l’arrêter et l’expulser. Dès son retour à Paris, elle mobilise les politiques et les intellectuels. Elle rencontre Simone de Beauvoir le 24 mai 1960 pour lui demander de relater la torture de Djamila dans Le Monde. Et elle crée dans la foulée le Comité de défense pour Djamila. Grâce à leur action, Djamila est transférée en prison en France jusqu’à la signature des accords d’Évian. Gisèle Halimi n’en est pas à son premier procès pour défendre les indépendantistes algériens. « La découverte du système des tortures fut le grand choc de ma vie. » Six ans plus tôt, à vingt-sept ans seulement, elle plaide pour les Algériens arrêtés après la « Toussaint sanglante ». Puis, en 1958, elle est avocate au procès du massacre d’El Halia dans lequel 44 Algériens sont encore injustement accusés d’avoir massacré des Européens. Avec son confrère Léo Matarasso, ils sont surnommés « les avocats des tueurs » par les Occidentaux. Mais, grâce à eux, preuve est apportée que les aveux ont été extorqués sous la torture. Condamnée trois fois à mort par l’OAS, emprisonnée durant un mois à Alger, il en faut plus à Gisèle Halimi pour rendre les armes. Après l’affaire Djamila, elle devient une fervente militante des femmes en France. Elle signe le manifeste des 343 femmes qui, le 5 avril 1971, proclament qu’elles ont avorté, avec Simone de Beauvoir, qui deviendra présidente de son association « Choisir la cause des femmes ».
De la lutte anticoloniale à la cause des femmes, ses deux engagements sont intimement liés. Inscrits dans son enfance. À dix ans, son père refuse qu’elle fasse des études parce qu’elle est une fille...

Insupportable injustice : elle sera avocate ! Son premier combat, elle le gagnera à douze ans. Née en Tunisie d’un père berbère et d’une mère juive, dans une famille traditionaliste, elle entame une grève de la faim pour protester contre l’obligation de servir ses frères. Au bout de trois jours, ses parents cèdent. Elle écrira dans son journal intime : « Aujourd’hui j’ai gagné mon premier petit morceau de liberté. » À quatre-vingt-cinq ans, cette « avocate irrespectueuse », comme elle se définit, qui voulait « changer le monde en plaidant », a réussi son projet. Insatiable, elle continue de se battre pour les droits des femmes dans le monde, et scande inlassablement l’importance des études. « Le savoir, c’est une forme de pouvoir en particulier pour les femmes. D’abord parce qu’elles connaissent mal l’Histoire et leur histoire en particulier. Et quand on connaît mal son histoire, on ne sait pas comment faire aboutir la revendication féministe. » À nous de continuer le combat.