GERMAINE TILLION

Germaine Tillion

Par Mustapha Boutadjine - Paris
2012 - Graphisme-collage, 130 x 95 cm

Fille d’un terroir

Par Djoghlal Djemaâ Sociologue

Comment une ex-colonisée algérienne peut-elle, sans se trahir, décrire en quelques mots la personnalité complexe de Germaine Tillion, qui a vécu plusieurs vies françaises et algériennes ? Dans la biographie qu’elle lui a consacrée, Nancy Wood analyse « une femme-mémoire » du siècle barbare dont les moyens techniques de destruction surpassèrent tout ce que l’esprit humain fut capable d’inventer jusque-là. De 1934 à 1940, pour ses voyages d’études, Germaine s’était elle-même définie « ethnographe » allant vers « une rencontre avec l’Aurès, avec les Chaouias, le peuple berbère ». Cette distinction géographique et culturelle lui permettait de lire cette société selon sa construction spécifique car la formation pluridisciplinaire de Germaine lui faisait dire que « l’humain est un ». Née en 1907, elle épousa très tôt les valeurs patriotiques de son éducation. C’est pourquoi, en 1940, lors de l’arrivée des nazis à Paris, elle avait créé l’un des premiers réseaux de résistance, le Réseau du musée de l’Homme. Elle fut gaulliste dès le début de la Résistance et demeura une gaulliste du programme du Conseil national de la Résistance (CNR) jusqu’à son dernier souffle. Sa maman et elle furent dénoncées et déportées, en tant que résistantes, dans le camp de Ravensbrück où sa très chère maman sera gazée le 2 mars 1945, parce qu’elle avait soixante-neuf ans. Le patriotisme de Germaine n’était pas un nationalisme étroit ; elle était fille d’un terroir et d’une éducation libérale au sens noble du terme. La plongée de Germaine dans les Aurès, au sein d’une population considérée à l’époque comme « primitive », allait ensuite l’aider à décortiquer le système nazi et particulièrement celui du camp de concentration où elle se trouvait. Ainsi elle put témoigner sur la « bête immonde ». Cette étude sera publiée trois fois ; la dernière était destinée à mettre en garde les générations qui n’avaient pas vécu l’horreur afin qu’elles se prémunissent contre le retour de l’innommable : « Pendant des dizaines d’années, nous, les plus concernées, nous avons surtout pensé au sort de ceux et celles que nous avions perdus, mais désormais nous-mêmes, derniers témoins, nous sommes déjà des absents, et ce qui reste actuel, plus actuel que jamais, c’est l’aventure advenue il y a un demi-siècle à un grand peuple, notre égal, notre voisin ; et ce sont aussi les tentations auxquelles il a succombé, car elles n’ont cessé de croître, et elles croîtront encore... Tuer ceux qui sont en trop ? Certains en rêvent aujourd’hui sur tous les continents. »

Bataille contre la torture pendant la guerre d’indépendance algérienne, bataille contre la « clochardisation de la population indigène », bataille pour l’accès des détenus français à des diplômes, bataille contre l’arbitraire appliqué aux « sans-papiers » ; que de batailles dans la discrétion... Le statut des femmes du monde fut pour elle un combat par la plume, d’où la publication du Harem et les cousins, qui déclencha autant d’admiration que de contradictions.

En 2013, à l’heure de la marchandisation du corps des femmes dans certaines sociétés ou de sa réduction au statut d’objet à mépriser, à cloîtrer, voire à éliminer dans d’autres, elle mérite d’être relue : « À cette étape de l’évolution toutes les situations familiales, à tous les âges de la vie, sont maintenant hérissées d’épines et imposent à chacun et chacune l’obsession de la fuite – fuite en avant vers l’avenir à quelques-uns, fuite vers le passé à tous les autres. »

Et de conseiller : « Les informations et repères doivent être offerts à la société globale, et la société globale commence par les femmes, car elles en sont la base stable. C’est pourquoi les sociétés qui écrasent les femmes, qui gênent leurs informations, qui bloquent leur avenir, se condamnent elles-mêmes à la clochardisation. »