DJAMILA BOUPACHA

Djamila Bouhired

Par Mustapha Boutadjine - Paris 2012 - Graphisme-collage, 130 x 95 cm

Les deux portraits

Par Françoise Germain-Robin Journaliste à L’Humanité

Quel visage retenir de Djamila ? Il y en a déjà deux dans ce portrait : celui qu’a composé Mustapha Boutadjine d’une femme au regard à la fois hardi et un peu triste, et celui du dessin de Picasso qu’elle tient entre ses mains. Picasso avait dessiné au fusain le visage rond d’une toute jeune fille aux grands yeux ouverts sur l’avenir, presque souriante. Et pourtant, cette jeune fille, alors, sortait des mains des tortionnaires qui, pendant 33 jours, lui avaient fait subir les pires sévices, jusqu’aux viols répétés avec une bouteille. « Quand je l’ai vue à la prison de Barberousse, elle avait eu les seins brûlés par des cigarettes, les côtes brisées par les coups. J’ai décidé d’être son avocate », écrivait Gisèle Halimi (1) après l’avoir rencontrée dans sa prison, elle qui, depuis plus de cinq ans, défendait les prisonniers algériens. On était en 1960. Djamila avait été arrêtée le 10 février et accusée d’avoir tenté, quelques mois plus tôt, de poser une bombe à la Brasserie des Facultés à Alger. Elle avait vingt-et-un ans.

Jeune fille modeste, pieuse et plutôt timide, elle militait au FLN comme le reste de sa famille. Son père Abdelaziz, son frère et sa sœur enceinte avaient été arrêtés avec elle. Punition collective, vieille pratique coloniale, toujours en cours en Palestine occupée. Le père, horriblement torturé lui aussi, demanda aux bourreaux « un peu d’humanité ». « Pas d’humanité pour les Arabes ! » lui répondirent les militaires. Pas d’humanité non plus, ni la moindre pitié, pour les femmes et les jeunes filles. Bien d’autres Djamila eurent à subir l’horreur de la torture et des viols. Une réalité camouflée par les autorités françaises mais que le procès de Djamila Boupacha fit éclater au grand jour, débouchant même sur la mise en accusation des bourreaux qu’elle désigna sur photos. Car dès son retour à Paris, Gisèle Halimi crée un Comité pour Djamila présidé par Simone de Beauvoir, y enrôlant quelques-uns des plus grands noms de la littérature française. Aidé par une toute jeune magistrate du ministère de la Justice, Simone Veil, le Comité parvient à faire transférer la jeune fille, qui refusait de parler, d’Alger à Caen. Elle y est condamnée à mort en juin 1961 mais bénéficie l’année suivante de l’amnistie due aux accords d’Évian. Revenue en Algérie, d’abord fêtée en héroïne, elle sera vite, comme les autres femmes combattantes du FLN, éloignée de la politique, reléguée à des tâches subalternes, volontairement oubliée par des dirigeants du FLN trop occupés à se disputer le pouvoir « entre hommes ». Les femmes algériennes, elles, ne l’ont pas oubliée. Djamila et ses compagnes de lutte dans la guerre de libération ont servi d’exemples et de soutien à ces nouvelles femmes rebelles d’Algérie, qui, pendant la décennie noire, se sont dressées contre la menace des fous de Dieu qui promettaient aux femmes le pire des asservissements.
C’est ce visage de femme rebelle que l’on retient, finalement et pour toujours, de Djamila.

(1) De son livre, Pour Djamila, préfacé par Simone de Beauvoir et réédité en 2000, on a tiré un film diffusé en 2012 à la télévision pour les 50 ans de l’indépendance de l’Algérie.