DJAMILA BOUHIRED

Djamila Bouhired

Par Mustapha Boutadjine - Paris 2012 - Graphisme-collage, 130 x 95 cm

Le symbole à abattre

Par Nadjia Bouzeghrane Journaliste à El Watan

Djamila Bouhired rejoint le FLN alors qu’elle est étudiante. Elle intègre la Zone autonome d’Alger où elle devient officier de liaison aux côtés de Yacef Saâdi dont elle est l’assistante pendant la Bataille d’Alger. En avril 1957, elle est blessée et arrêtée. Emprisonnée à Maison Carrée (El Harrach), elle sera torturée et condamnée à mort pour attentats à la bombe. Une campagne d’envergure pour sa libération est menée par l’avocat Jacques Vergès, qu’elle épousera en 1965, ainsi que par Georges Arnaud, l’auteur du Salaire de la peur. Ils publient aux Éditions de Minuit un manifeste : Pour Djamila Bouhired. Par ailleurs, symbole des femmes algériennes qui se sont soulevées contre le joug colonial et qui ont rejoint la lutte de libération nationale, elle est au cœur du film Djamilah du célèbre réalisateur égyptien Youssef Chahine.

Libérée en 1962, cette incorruptible rejette les privilèges de l’Algérie indépendante, comme elle refuse d’être instrumentalisée par ses dirigeants. Par exemple, le 9 décembre 2009, Djamila Bouhired interpelle le président de la République, Abdelaziz Bouteflika : « À Monsieur le président d’une Algérie que j’ai voulue indépendante ! » Dans cette lettre ouverte reproduite intégralement par El Watan, elle s’élève contre le sort de ses frères et sœurs de combat, ignorés et méprisés : « Je vous demanderai de ne plus nous humilier et de revaloriser notre dérisoire pension de guerre afin de vivre dans un minimum de dignité le peu de temps qui nous reste à vivre. » Malade, c’est à ses compatriotes algériens que Djamila Bouhired s’adresse pour l’aider à se faire soigner, et non aux puissants à qui elle ne veut rien devoir. Dans le journal Liberté du 1er juillet 2009 et dans Alger républicain du 3 septembre 2009, Zohra Drif témoigne : « J’étais présente au moment de l’accrochage. Djamila a été blessée par balle et elle a été arrêtée, seule. À partir de ce moment, plus aucun combattant n’a eu accès à elle jusqu’à son incarcération. Elle était seule, entre les mains des tortionnaires de la 10e division parachutiste du général Massu dont tous les Algérois connaissaient les méthodes d’interrogatoire. Nos ennemis savaient à l’époque qui était Djamila Bouhired, à quel niveau de l’organisation elle se trouvait, ce qu’elle faisait et avec quelles personnes elle était en relation permanente, c’est-à-dire Larbi Ben M’hidi, Yacef Saâdi et Ali la Pointe, qui étaient encore en vie et en activité à l’époque. Les parachutistes savaient qu’ils venaient de faire “une prise” de première importance. Dès son arrestation, le travail “psychologique” de l’armée en direction du peuple algérien a commencé.

Tout de suite, Djamila, comme tous les militants arrêtés, a été salie et dénigrée pour démoraliser la population et la couper des militants. C’est avec tristesse que je constate que ce travail continue. C’est lors du procès de Djamila Bouhired que les informations ont commencé à sortir. Les débats sur la torture ont alors pris une dimension internationale parce que Djamila a décidé de faire de son procès celui de la France coloniale et de ses méthodes. Rarement dans l’histoire de notre nation, une personne a porté si haut la voix des souffrances et du combat du peuple algérien. Elle l’a fait devant le Tribunal permanent des forces armées. Elle l’a fait devant une foule de pieds-noirs haineuse qui éructait et hurlait : “À mort, à mort la fellaga !” Si Djamila Bouhired est devenue le symbole qu’elle est, c’est parce que toute la presse internationale a relayé le courage et la dignité d’une femme seule devant ses bourreaux, d’une femme qui a choisi de s’habiller ostensiblement dans les trois couleurs de notre emblème pour dire sereinement à ses ennemis : “Parce que je suis algérienne, vous n’avez pas la compétence pour me juger. Oui, j’assume tout ce que j’ai fait ; oui, je suis prête à mourir ; oui, je reprendrai les armes pour refaire ce que j’ai fait dès que je serai libre.” Et c’est la tête haute, en chantant Min Djibalina avec Abdelghani Marsali et Abderahmane Taleb, qu’elle a reçu le verdict du tribunal la condamnant à mort sous les hourras de la foule des pieds-noirs. En ce mois de juillet 1957, les exécutions capitales allaient bon train dans les prisons d’Alger, d’Oran et de Constantine. Comme son peuple, c’est droite, debout, qu’elle a accepté la mort pour libérer son pays.Ce procès suivi dans la Casbah et dans tout le pays a fait date, c’est comme cela qu’elle est devenue un symbole. Symbole du chemin à suivre pour les Algériens, symbole de l’ennemi à abattre pour la France coloniale et symbole du combat à soutenir pour le reste du monde. »

Fettouma Ouzegane, moudjahida et cofondatrice de la première Ligue algérienne des droits de l’homme, fait paraître, en avril 2012, dans la presse algérienne, sa Lettre à ma sœur de combat, Djamila Bouhired : « Très chère sœur, de nouvelles épreuves dans ta vie de combattante, de femme algérienne, ne peuvent me laisser silencieuse... Qui mieux que moi connaît ce petit appartement qui te sert de demeure, rafistolé, livré aux vents du 15e étage de cette tour d’Alger dont l’ascenseur est livré aux caprices du temps, dont on sait, toi et moi, qu’il n’arrange point les choses... Certes les dirigeants algériens t’ont proposé un logement décent, mais tu l’as refusé car, pour te faire de la place, une famille allait en être expulsée. Qui mieux que moi peut témoigner de tous ces “cadeaux” que tu n’as cessé de rejeter afin de préserver ta liberté si chèrement acquise, pour laquelle tu n’as cessé de te battre, et qui fait aujourd’hui la fierté de tous les Algériens. Très chère sœur, je ne voudrais pas ici m’étendre sur les frasques des puissants qui étalent un luxe insolent et des avantages indécents pendant que les veuves de guerre et les authentiques moudjahidine mendient afin de subvenir à leur quotidien.

... À défaut de liberté, ce système nous a offert la matraque et l’injustice.
Comment un pays aussi riche peut-il produire une société aussi démunie ? Très chère Djamila, ton destin est le nôtre, ta dignité et tes souffrances sont celles de tous les Algériens ! Et si ces dirigeants ne le savent pas, le jugement de l’Histoire, lui, ne les épargnera pas. »