MEHDI BEN BARKA

Mehdi Ben Barka

Par Mustapha Boutadjine - Paris 2004 - Graphisme-collage 100 x 81 cm

« La seule vraie politique est la politique du vrai »

Par Bachir Ben Barka Président de l’Institut Mehdi Ben Barka – Mémoire vivante

Ce principe a guidé toutes les actions de Mehdi Ben Barka tout au long de sa courte vie. Ses origines modestes, son enfance et son ancrage dans les milieux populaires de Rabat lui ont permis de vivre la réalité sociale du Maroc du Protectorat des années 1920 et auront une influence décisive sur son cheminement politique. Imprégné des aspirations populaires, il les a personnifiées et amplifiées dans la perspective d’une révolution sociale et démocratique. Pour aider financièrement sa famille, il a travaillé dès l’âge de douze ans, pendant les vacances scolaires, dans les services de collecte des taxes et de l’impôt agricole. Il y découvre la réalité de l’exploitation économique et sociale du Protectorat et des injustices qui en résultent. Il ne cessera pas ensuite de les combattre.
Entre 1940 et 1943, il prépare une licence de mathématiques à la faculté des sciences d’Alger. Il y noue des relations durables avec les futurs dirigeants nationalistes algériens et au sein du milieu intellectuel maghrébin et français. Il milite activement dans le cadre de l’Association des étudiants nord-africains dont il devient le président. Depuis, tout en s’appuyant résolument sur la réalité marocaine, il n’a jamais cessé d’élargir sa vision au-delà des frontières nationales et régionales, mesurant les enjeux du dépassement des luttes isolées des peuples du tiers-monde. Comme il le rappellera vingt ans plus tard dans l’Appel de la Tricontinentale : « Les peuples des trois continents éprouvent profondément le besoin de solidarité qui doit exister entre eux ainsi que la nécessité de coordonner leur lutte contre l’ennemi commun. (…) Il existe déjà un lien étroit entre [eux]. Tous ont dû affronter les mêmes problèmes. Tous ont été menacés par les mêmes dangers de l’oppression, l’exploitation, l’agression et l’intervention armée. »
Il mettra l’expérience accumulée durant ses années de jeunesse au service d’abord du combat pour l’indépendance et ensuite du développement et de la démocratie. Il va insuffler un style nouveau à la politique marocaine. Il apportera à l’analyse du système du Protectorat et à son action militante toute sa rigueur scientifique et son esprit didactique. Il parcourt le Maroc, portant un intérêt prioritaire à la jeunesse. Il est très proche des militants, s’exprimant dans un arabe dialectal compréhensible par tous.
Au lendemain de l’indépendance, il comprend rapidement que celle-ci ne peut avoir de signification réelle que si la souveraineté et l’initiative du peuple deviennent le fondement même des nouvelles institutions du pays. Il se distingue alors par ses qualités d’organisateur à différents niveaux.
Sa conception du développement fondé sur la créativité et l’action populaires se traduit dans des projets de développement tous azimuts, dont il est le concepteur, l’initiateur et l’opérateur de première ligne. Tous ces projets ont un dénominateur commun : la mobilisation populaire. Pour lui, le développement ne peut se concevoir « par en haut » et il n’y a pas de véritable libération ni de développement sans démocratie, et sans le rôle actif des masses laborieuses, qui doivent occuper une place de choix dans l’ensemble de ce processus.
Obligé de quitter le Maroc pour échapper à la vindicte royale, il prend toute sa place au sein des dirigeants des mouvements populaires et révolutionnaires du tiers-monde.
Sa réflexion et son analyse sur le néo-colonialisme et sur les dangers que ce dernier recèle pour les pays africains nouvellement indépendants ou en lutte pour leur indépendance sont remarquables par leur pertinence. Au sein de l’Organisation de solidarité des peuples afro-asiatiques, il est le véritable responsable du Fonds de solidarité destiné à aider en argent et en matériel toutes les organisations en lutte contre le colonialisme et ses séquelles. Cela lui permet d’approfondir sa connaissance de la réalité des mouvements de libération nationale et de leurs luttes. Par-dessus tout, c’est également leur confiance qui lui est acquise.
Il n’est pas surprenant alors que, lorsque la nécessité d’étendre cette solidarité à l’Amérique latine a pris forme, c’est autour de sa personne que l’unanimité s’est faite pour présider le comité préparatoire de la Conférence tricontinentale qui devait se tenir à La Havane en janvier 1966. En même temps, c’est autour de sa personne que se sont cristallisées les forces que cette solidarité visait.
La perspective d’une organisation de solidarité regroupant les peuples d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine a créé un immense espoir ; l’espoir d’inverser les rapports de force face au néo-colonialisme, à l’impérialisme et à la réaction.
L’espoir d’une réelle option révolutionnaire au Maroc ; l’espoir d’une solidarité plus forte entre les peuples des trois continents.
C’est cet espoir qui fut en partie assassiné le 29 octobre 1965 à Paris.