ALBERT EINSTEIN

Albert Einstein

Par Mustapha Boutadjine - Paris 2004 - Graphisme-collage, 130 x 90 cm

L’insurgé social

Par Sylvestre Huet Journaliste spécialisé dans les sujets scientifiques (1) Einstein, un traître pour le FBI, de Fred Jérôme, éditions Frison-Roche, 2005

Albert Einstein fut-il un insurgé ? Pour soutenir cette idée, on comprend que l’artiste ait choisi, après beaucoup d’autres, cette image d’Einstein en vieil homme indigne, tirant sa langue à tous les conformismes. Comme si le physicien avait eu besoin d’atteindre l’âge de la sagesse pour développer ce trait de caractère. Pourtant, l’affaire se révèle bien plus complexe et subtile.
Les images d’Albert Einstein jeune, dans sa trentaine, sont rarement utilisées. Elles nous montrent un homme calme et conventionnel dans son attitude et ses vêtements. Or, c’est cet Einstein-là qui va s’insurger contre la physique en vigueur, poser la granularité de la lumière, imposer la vitesse de la lumière comme une constante indépassable et déposer de son statut le cadre d’un espace-temps éternel et sans limite comme réceptacle préexistant de la matière.
Le plus curieux, et souvent peu connu, est que l’Einstein anticonformiste des images le montrant âgé et rigolard n’est plus le physicien révolutionnaire de sa jeunesse bien rangée. À l’inverse, toute la fin de sa vie scientifique est consacrée à la critique de la physique quantique qu’il a pourtant contribué à fonder avec ses travaux sur la lumière. Einstein n’accepte pas le hasard intrinsèque du formalisme mathématique de la mécanique quantique. Il va polémiquer avec Niels Bohr, grommelant que « Dieu ne joue pas aux dés », inventer des tests, des expériences de pensée, afin de mettre en échec les prédictions quantiques. Ce programme de recherche fut un échec paradoxal. Échec pour Einstein, puisque sa mise en cause de « l’interprétation de Copenhague » de la physique quantique n’a pas été confirmée par les expériences. Mais succès pour la physique, car les expériences de pensée d’Einstein ont pu être réalisées, des décennies après, grâce aux nanotechnologies et à la manipulation des atomes et de la lumière. Au point de déboucher sur de nouveaux concepts étranges, comme l’intrication quantique, et des applications non moins étranges en cryptographie.
Mais Albert Einstein, pour le grand public, est aussi cet insurgé social qui fut antimilitariste après la boucherie de 14-18, puis engagé contre Hitler au point d’encourager le programme Manhattan de construction de l’arme nucléaire, défenseur des Rosenberg condamnés à mort pour espionnage en faveur de l’URSS, surveillé par le FBI qui le voyait en crypto-communiste et traître à l’Amérique. L’artiste voit juste, puisqu’Einstein fut « pacifiste, internationaliste, socialiste et antiraciste convaincu… » (1). Poursuivi par la vindicte de J. Edgar Hoover, le patron du FBI qui constitua sur lui, de 1932 à 1955, un dossier de près de deux mille pages, intitulé « Trahison » et dont une partie est toujours secrète. Le processus de canonisation d’Albert Einstein en saint de la science a fortement contribué à effacer des mémoires la force et la constance de son engagement politique. L’œuvre de Mustapha Boutadjine permet de le remettre en lumière.