TOUSSAINT LOUVERTURE

Toussaint Louverture

Par Mustapha Boutadjine - Paris 2000 - Graphisme-collage, 100 x 80 cm

Le « Premier des Noirs »

Par Dany Stive Journaliste à L’Humanité

À quoi pense-t-il en ce glacial mois de décembre 1802, Toussaint Louverture, dans sa cellule du fort de Joux, posé sur les hauteurs du Jura ? Sous ces tonnes de pierre, dans cette atmosphère froide et humide, dans l’odeur du salpêtre, dans un silence de mort. Rêve-t-il à la chaleur, au soleil éclatant d’Haïti, à sa plantation de café du Petit-Cormier, à l’odeur de la canne à sucre dont on brûle les feuilles avant de la couper ? Ou se laisse-t-il aller aux souvenirs de sa gloire, si proche encore ? Lui que Bonaparte a nommé, il y a moins de deux ans, capitaine-général de Saint-Domingue. À cette époque, l’autoproclamé « Premier des Noirs » s’adressait au « Premier des Blancs » comme à un égal. Mais déjà, Napoléon perçait sous Bonaparte : Toussaint avait beau s’être révélé un militaire d’exception et un politique roué, rejeter les Espagnols à la mer au moment où, de l’autre côté de l’Atlantique, le futur empereur œuvrait à la réconciliation franco-espagnole était une erreur que celui-ci ne pouvait pardonner. Ne l’attendait-il pas ce premier faux pas pour se débarrasser de ce
« nègre » qui lui faisait de l’ombre ? En octobre 1801, Bonaparte lance une expédition vers Saint-Domingue : 23 000 hommes sous les ordres du général Leclerc. Le 6 mai 1802, abandonné par ses officiers, Toussaint Louverture doit s’avouer vaincu. Malgré les promesses faites lors de sa reddition, il est déporté en France, avec une centaine de ses proches.
Dans sa cellule de Joux, il n’est plus le « Premier des Noirs ». Il n’en reste pas moins qu’il est mieux traité que la plupart des enfermés. Le ministre de l’Intérieur, Joseph Fouché, le considère comme un prisonnier d’État. Il a droit à une nourriture « saine et convenable » et à des vêtements chauds. Quel goût ont les salaisons, les biscuits secs et le vin, avalés dans la solitude totale, pour cet Antillais arraché à sa terre tropicale ? Ne grelotte-t-il pas dans cette cellule où brûle un maigre feu dans la cheminée ? Que dire de la ridicule ouverture sur le ciel en haut d’une cloison ? Il ne reçoit que la visite quotidienne, à 11 heures, du commandant des lieux. Il est enterré vivant.
Le « Spartacus noir », ainsi l’appelle l’abbé Raynal, est né esclave (vers 1743) mais sous une bonne étoile. Dans l’Habitation Bréda, le gérant Bayon de Libertat lui accorde une « liberté de savane » puis l’affranchit. Quand la révolte des esclaves du nord de l’île débute (1791), Toussaint Bréda n’en est pas, mais son habileté, ses talents de meneur d’hommes font merveille : dès 1793, il est à la tête d’une armée de 4 000 Noirs « disciplinée à l’européenne ». Il n’a pas son pareil pour ouvrir des brèches dans les lignes adverses : il s’appellera donc Toussaint Louverture. Les Espagnols l’accueillent mais le 18 mai 1794, il rallie le camp républicain français. A-t-il eu vent de l’abolition de l’esclavage décidée par la Convention ? Est-ce alors qu’il apprend à lire et écrire ? Il fera preuve d’habileté et d’opportunisme, au service de la République française... et de Saint-Domingue.
Le 8 juillet 1801, il donne à son pays une constitution inspirée de celle de l’an VIII. Un texte autonomiste, Paris ne pouvait l’ignorer.
Le 7 avril 1803, Toussaint meurt dans le silence et l’obscurité. Le 1er janvier 1804, son ancien lieutenant Jean-Jacques Dessalines proclame l’indépendance de la République haïtienne.