Richard Wright

Par Mustapha Boutadjine - Paris 2010 - Graphisme-collage, 60 x 40 cm

L’enfant révolté

Par Nicolas Dutent Journaliste à L’Humanité

« Élément subversif ». C’est par cet intitulé évocateur que le FBI qualifie dans un de ses rapports obscurs, révélé en 2003 par la biographe Hazel Rowley, Richard Nathaniel Wright. Né le 4 septembre 1908 dans l’État raciste du Mississippi, il est l’un des premiers intellectuels et écrivains noirs à avoir pris la plume pour faire le récit implacable de l’Amérique ségrégationniste. C’était hier, il y a à peine un siècle, dans cette démocratie de paille où le fait de revendiquer l’extension du domaine de la liberté et des arts aux non-Blancs faisait injure. Le « petit garçon noir » de Natchez, port cotonnier célèbre pour avoir accueilli un des marchés d’esclaves les plus fleurissants du Sud des États-Unis, a sonné le glas de ce puissant interdit. Englué dans une misère épaisse, il vivote, alternant petits travaux et emplois précaires au gré de ses errances. C’est entre les murs d’une bibliothèque magique que l’adolescent accède à la littérature de gare et aux classiques (Shakespeare, Victor Hugo, Dostoïevski, Edgar Poe, Melville…). De cette incursion quotidienne dans les livres et les rouages de l’imaginaire, il se forge la conviction, influencé par le satiriste Herbert L. Mencken, que les mots peuvent « tourner en dérision les fausses valeurs et les absurdités qui nous entourent ». Il fait ses armes dans de petites revues locales avant de répondre à l’appel du Nord, étouffé par le racisme et le rigorisme religieux qu’il vilipende. Toujours miséreux mais enivré par la bouillonnante Chicago, où il arrive en 1927, il ne tarde pas à rejoindre les cercles littéraires liés au Parti communiste (P. C.), et plus intimement le John Reed Club (du nom de l’écrivain révolutionnaire) – rares organes à publier les écrits des jeunes révoltés, majoritairement discriminés. Il collabore également au Federal Writers’ Project, amorce sa carrière littéraire et migre ensuite à New York où il officie comme correspondant à Harlem du quotidien du P. C., le Daily Worker. Il dira de cette exaltation intellectuelle, suivie de déceptions et d’incompréhensions autour de son roman Native Son, qu’elle lui a permis de
« sortir du ghetto ». La force de ses écrits, qui combinent romans (Un enfant du pays, Les enfants de l’Oncle Tom, Black Boy) et essais notables autour de la même fresque terrible de l’Amérique, retentit jusqu’en Europe. C’est avec le concours bienveillant de Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir ou encore Claude Lévi-Strauss qu’il s’établit en 1947 à Paris avec sa femme, communiste, juive blanche américaine, et leur fille Julia.
Bien que lucide sur ce pays refuge, vivier d’esprits critiques et État colonialiste, il y trouve un « souffle de liberté » salutaire et un air plus respirable que le maccarthysme.
La grandeur d’un homme se mesure aussi à la portée de ses refus. En refusant de servir l’armée américaine « pour une liberté que nous n’avons jamais eue », en ouvrant grand le champ des possibles pour les militants et écrivains noirs, Richard Wright aura été cette voix singulière qui, dans la nuit américaine, a fait briller le soleil des opprimés.