James Brown

Par Mustapha Boutadjine - Paris 2004 - Graphisme-collage, 130 x 90 cm

La musique de la sueur

Par Stéphane Koechlin Journaliste, chroniqueur et critique musical

On dit qu’une belle idée vaut toute une vie. James Brown aura poursuivi la sienne jusqu’au bout : amener sur les bancs de l’école les enfants noirs défavorisés. Il répéta son slogan comme un lancinant riff de guitare : « Don’t be a drop out ! » (ne laissez pas tomber les études !), et afin d’atteindre son objectif, fit les yeux doux à un candidat démocrate avant de courtiser Richard Nixon. Cette palinodie lui sera souvent reprochée. Mais c’est avec une grande fierté que ce superbe artiste s’était vu ouvrir les portes de la Maison-Blanche, un miracle pour le gamin noir pauvre de Géorgie, qui gagnerait son étoile sur un boulevard de Hollywood, non loin de Lauren Bacall et de Maria Callas ; et qui, disparu le jour de Noël, en 2006, serait exposé dans un carrosse blanc tiré par des chevaux et acheminé au milieu du grand stade d’Atlanta rempli de roses.
Avant de ressembler à un mythe, James Brown, ce nom si commun, rassembla les tristes clichés du Noir américain au XXe siècle : il cueillit le coton, cira les chaussures, pratiqua la boxe, passa par l’habituelle case prison, où il découvrit, comme tant d’autres, la musique… De ses premières années, il apprit ce que le noble art et le prêcheur évangéliste Daddy Grace (qui baptisait à la lance à eau ses centaines de fidèles) lui avaient enseigné sur les trottoirs d’Augusta : la danse, le beau geste, la sensualité, que l’on retrouve dès son premier titre star, Please Please Please, en 1956, annonciateur d’une longue série de chefs-d’œuvre. Comment citer toutes ses chansons ? J’aime beaucoup
Night Train, sans doute parce qu’il égrène, au rythme des ballasts, les villes perdues de ses voyages, The Payback pour son rythme hypnotique, et aussi Say It Loud – I’m Black And I’m Proud, où il affirme la « Black Beauty » que célébrait jadis Duke Ellington. James Brown m’évoque un train lancé à vive allure à travers le Nouveau Monde. Il se situera toujours assez loin du blues trop défaitiste à son goût, inventant une musique aux odeurs de sueur, sexy et virulente. Avec ses chaussures à talonnettes, son imposante coiffure pompadour, sa cape de Superman, Jaaaaames Brown était un tigre ou un chat, génial et odieux, généreux et brutal. Il faisait de ses spectacles un mélange d’orgies transcendantales et de poèmes politiques, à la tête de ses orchestres, implacables machines, réglés selon une discipline romaine, mais dont la contagieuse joie de vivre réveilla une Amérique blanche repliée sur elle-même. C’est en le voyant à l’Olympia, en 1965, que mon père, littéralement emporté par la fougue de James et de sa bande d’artilleurs, eut l’idée de créer une revue musicale, Rock & Folk, qui fêtera l’année prochaine son cinquantenaire. J’avais trois ans. J’ignorais que « Mr. Dynamite » allait changer notre vie.